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mercredi 19 janvier 2022

Résidence : Radio Mulot, mercredi 19 janvier à 15h.

Chaque troisième mercredi du mois.

par Henri

Radio Mulot vient grignoter un peu d’espace radiophonique chaque troisième mercredi du mois avec des mixs très ouvragés conçus pour l’occasion.

première livraison : Minimix_Aksak_Maboul_16_Dec_COMP

Et un peu à lire :

Extrait du Journal Mulot : Mix Mulot, Hawkwind & le Diamant d’Asie

"Eh oui, en vérité on ne sait plus ce qu’on diffuse : on ferme les yeux et on appuie sur Play : une âme finlandaise déclame un texte avec une diction jamais vue, jamais entendue : prosodie fabuleuse où la voix reste en suspens dans l’espace, les consonnes étrangement répétées trois fois, certaines voyelles ouvertes, trainées comme on ferait avec un large pinceau : c’est le saut dans l’inconnu, le voyage à Helsinki mais sans les préparatifs, sans l’avion, sans les photos. Cinq jours de voyage en quatre minutes, dans la cuisine nantaise, jaunie, haut de plafond, mal éclairée, travaillée à la suie, le salon étriqué, la salle de bains dessinée pour le petit profit, le mastique blanc noirci, disjoint, mais quel bonheur pour l’Esprit, à découvrir du cosmique, des fragments d’étoiles sortant de la mini-chaîne, du poste de cuisine !

Voici quatre jours que tournent les « Mix Mulot », dans un ordre précis que je dessine à la main, fichiers souvent très longs, séparés à chaque fois par cinq étages d’ascenseur, montant ou descendant, c’est égal, la direction n’est pas inscrite dans le fichier. Photographie très pure, très cadrée mais faite avec un micro : la virgule absolue dans le minimalisme, le contraire de ces mixs, interminables et baroques.

Hébété, interdit, je redécouvre ces travaux, pensant que nous avons probablement touché là quelque chose de jamais vu, jamais entendu (en attendant que peut-être cela devienne la pâte, l’argument d’un nouveau style de musique). L’insolence est telle que j’en rougis moi-même, à deux doigts de tout stopper pour revenir à une programmation normale.

C’est simple : la proposition est si énorme, sulfureuse, abouchée à l’impossible, comme on le serait au crime ou aux pires déviations qu’au bout d’un certain temps on hésite presque à prévenir la police ou les sapeurs-pompiers : que ce feu s’éteigne à jamais ! Que le monde cesse de s’effriter sous nos yeux ! Pour couper cours à ce massacre …

Il suffit de se représenter ce que donnerait une intervention neurologique dans un esprit humain où soudainement toutes les données de la mémoire se mettraient à affluer en un seul canal conscient, sans hiérarchie particulière. Ou encore, une vue panoramique, héritée de la science-fiction, un plan de coupe global révélant les infrastructures de l’information dans leur totalité : toutes les données serveur, le trafic internet, les ondes invisibles qui s’agitent et nous traversent par milliers, produisant ça et là d’immenses vagues déferlantes, qui ne cessent de se creuser pour produire à l’autre bout des montagnes d’énergie brute, au bord de l’implosion. La voiture qui freine à l’extrême courbe d’un virage, dans un crissement infini, avec tout qui se tord, le métal qui se plie, tout ce qui peut se plier et même ce qui ne le peut pas, toute matière changée en gerbes d’étincelle, en chaleur fumante, éruptive, en vortex de l’enfer.

Je raconte souvent cette histoire lorsqu’en bonne compagnie je viens à passer devant le Diamant d’Asie. Ce n’est d’ailleurs pas une « histoire « à proprement parler. Il suffit qu’une chose se soit produite deux ou trois fois pour que la mémoire en fasse une légende, la marque d’une époque.

On nous avait coupé la FM. Pour me consoler je mixais presque tout le temps, sur un ersatz de radio montée vite fait sur internet : Fieldmice Netcast. De ce média réduit Jean ne voulait pas entendre parler. Mais cela permettait de se faire la main, compenser quelque peu le contact perdu avec la ville.

Par exemple si je découvrais Hawkwind, je téléchargeais tout Hawkwind et je l’écoutais directement en le mixant, soit avec lui-même en superposant l’intégrale à des volumes différents, soit avec des choses que j’aimais beaucoup et qui n’ont rien à voir, Archie Shepp, des live de Wire, des morceaux de Chris and Cosey, du Throbbing Gristle, du Prince ou encore, des œuvres vocales contemporaines. Dans ces mixs j’injectais aussi les « situations » du petit chemin de terre sur lequel donnait mon rez-de-chaussée, ayant dissimulé à la fenêtre un « micro ouvert » - resté actif des années durant. Il ne s’y passait pas grand-chose mais j’entendais parfois les commentaires des filles passant devant mes fenêtres, telles des poissons dans un aquarium, me demandant de quel côté se situait l’aquarium : - « Regarde le look du mec avec son boxer ! « S’y échouaient aussi le vrombissement des moteurs, portières claquées et autres freins à main, les oiseaux, les bruits de table, de cuisine, les avions énormes, toujours un peu effrayants et ce que je préférais : les salves nerveuses et tranchantes du compresseur de l’atelier maquettes, formidables.

Aussi, quand approchaient les deux heures du matin, les réserves d’alcool s’amenuisant je laissais tourner le magnétophone et courrais au Diamant d’Asie pour me pourvoir en vodka bon marché : Eristov, Poliakov et même Rakmaninov, le genre de bouteilles qui libèrent sur le moment mais se payent très cher le lendemain. J’étais toujours très excité, m’y rendant vraiment au pas de course, d’abord parce que le magnétophone tournait sans contrôle, surtout car il fallait arriver avant la fermeture, afin de pouvoir tenir encore des heures, à nourrir ces audaces, ces visions infernales. Or, même porte close le Diamant d’Asie laissait une chance aux retardataires et autres créatures de la nuit : s’il y avait de la lumière derrière les stores, sur la vitrine épaisse je frappais avec une clef, les vietnamiens m’ouvraient. Sur un chèque du Crédit Mutuel, avec une date au hasard je signais d’un jet de sang et ressortais avec ma vodka chaude, et ces paroles qui me tournaient dans la tête : « Well, hurry on sundown, see what tomorrow brings « 

De retour à l’appartement, cabinet de curiosités, souricière cubiste sertie de cadrans et voyants lumineux, du casque audio pincé sur le dossier de la chaise s’échappent les franges d’un univers inconnu, un monde augmenté où tout est disponible, palpitant, furieux, saturé d’énergie brute, volcanique, musicale mais quelle sorte de musique ? Quel dépassement de la musique, dans les creux sans fond, quel doublage, quel surpiquage , à l’aiguille devenue folle ! Quel massacre organisé, selon une science du chaos, de la surenchère, dans l’absurde et la rature, du jazz le plus fleuri, le plus sensuel, flanqué de hurlements, de choristes égarés, d’éboulements depuis les hauteurs …

Pris en étau dans les grâces de cet enfer sonore, émancipateur autant qu’empoisonné, traversant les époques et les discographies, tourbillonnant dans l’Internet, orchestrant les collisions, sculptant dans les fréquences, arrivait un moment de rupture où littéralement je tombais de ma chaise, inconscient.

Je m’éveillais quelques heures plus tard, le casque arraché gisant sur le tapis, les points lumineux du store à demi baissé dansant sur le mur blanc, les ordinateurs de l’époque affichant ce genre de message « No more data can be written on this file ». Assoiffé, il me semblait qu’un petit être cherchait à passer sa tête à travers ma gorge pour mendier un peu d’eau. Sur le moment, du travail de la nuit je n’avais aucun souvenir.

Alors, l’esprit flottant (mollusque plongé dans l’alcool fort) je sortais prendre un café sur la Chaussée, étonné par le mouvement et les formes du monde autant qu’un nouveau-né, le rescapé de quelque évènement épouvantable. Bercé par la brise légère, le flux des passants, les variations de lumière à travers les feuillages, je n’ai jamais eu meilleur sentiment de paix qu’au sortir de ces nuits étoilées d’attentats et d’aberrations."

une : Mélanie Bobeau